La montée

Je montais.
Encore et toujours.
Indéfiniment.
Je ne savais plus depuis combien de temps j'avais amorcé la montée, ni à quel moment de la journée on était rendu.
Peut-être étions-nous l'après-midi, ou alors l'avant-midi.
Je ne savais pas, je ne savais plus.
L'effort engourdissait mes muscles.
Je n'étais pas essouflée, pas même fatiguée.
Je montais, un point c'est tout.
Mais je savais que j'aurais bientôt du mal à continuer, car après tout, je n'étais qu'une humaine.
Une humaine avec des pouvoirs, soit, mais une humaine malgré tout.
Une humaine guerrière.
Il était certain que j'avais plus d'endurance que la majorité du monde, mais tout de même...
Tout le monde avait ses limites.
Donc, il faudrait que je m'arrête dans un certain temps car mon corps ne pourra pas arriver en haut sans repos.
Mais je voulais arriver en haut.
Pourquoi?
Pourquoi diable était-ce si important?
Peut-être parce que j'avais mainte et mainte fois escaladé un sentier semblable à celui-ci...
Et puis, je me refusais à abandonner.
J'arriverais en haut, coûte que coûte.
Je le savais.
Je continuai à monter, malgré les protestations de mon corps et de mes jambes.
Mais je continuai.
J'étais assez obstiné.
Je réussirais.
Je continuai à monter des heures durant, étant incapable de penser puisque l'effort me demandait trop d'énergie.
Mais je n'abandonnai pas.
Finalement, après des heures d'efforts et de silence, j'arrivai en haut.
Je me laissai tomber sur un rocher proche et commencai à observer autour de moi.
Sans trop m'approcher de la falaise, je regardai en bas.
C'était à couper le souffle.
Je restai immobile de longues minutes, ne désirant pas troubler ce moment de plénitude et de tranquillité.

Je venais de monter, moi aussi.
Mais j'étais là.
Bien en haut, reposée.
Je vit soudainement arriver une guerrière.
Oui, la guerrière que je crois partout, qui m'a sauvé la vie..
Je la regarda avec sympatie.
Je m'approcha doucement.
-Bonjour. Belle vue, non?
Elle semblait très fatigué.
Aussi, j'ouvrit mon sac et lui tendit une pomme, ce qui redonne de l'énergie.
Je la posa à côté d'elle, au cas où elle en aurait envie.
Mes yeux noisettes disait tout ce que je pensait.
Du respect pour la guerrière, de la sympatie, la joie de la revoir, l'impressionnement pour sa montée, tout cela, juste dans mes yeux.
Yeux qui parlaient sans que j'ai à dire un mot.

Je souris à la nouvelle venue, mais repoussai la pomme.
Je n'en avais pas besoin.
Bien que j'étais épuisée par la montée, je savais que dans quelques minutes, je ne sentirais plus rien.
Je me relevai et époussetai la poussière sur mes vêtements.
Je regardai longuement le coucher de soleil et m'émerveillais devant sa splendeur.
Longtemps, je l'observai sans bouger, sans frémir.
Mes muscles ne bougèrent pas.
J'étais parfaitement immobile.
J'avais oublié que quelqu'un, à côté de moi, attendait peut-être que je lui parle.
J'avais tout oublié.
Lentement, je revins à moi et clignai lentement des yeux.
J'essayai de me reconnecter à la réalité.
Ce fut un réveil difficile...
Car parfois, l'intérieur de nous et ses profondeurs sont mieux que l'extérieur que l'on appelle malheureusement la réalité.

Je regarda avec étonnement que la guerrière repousse la pomme.
Je la pris et la remit dans mon sac.
Je regarda avec elle le coucher de soleil, les bras croisés.
Finalement, je donna un petite tape sur son épaule, pour la ramener à la réalité.
Je la regarda, ne sachant plus vraiment quoi faire.
Je m'assie plutôt sur une roche, attendant patiament.

Je ressentis, comme venant de très loin, une tape sur mon épaule.
Je clignai des yeux lentement, sans me presser.
J'avais l'impression de m'être absenté pendant trois jours, et pourtant, je me doutais bien que ça ne faisait pas plus de quinze minutes que j'étais là.
Je pris une grande respiration, inspirant profondément et expulsant l'air de mes poumons très lentement.
Je passai une main dans mes cheveux long et soyeux.
Je restai encore immobile pendant une ou deux minutes encore.
J'attendais que le soleil se couche complètement.
Quand la noirceur commenca à venir, je m'aperçus que je ne pourrais jamais redescendre cette montagne dans le noir, à l'aveuglette.
Je devrai donc rester ici pour la nuit.
Je m'étirai, puis je me baissai au sol pour le tâter.
Je fouillai le sol pendant quelques minutes pour finalement trouver ce que je cherchais: une branche sèche.
-Il me faut des branches, dis-je à la jeune femme à mes côtés. Beaucoup de branches pour faire un feu. Peux-tu m'aider à en trouver?

Perdue dans mes pensées, je n'avais pas vraiment remarqué que la guerrière me demandait quelque chose.
-Moui? D'accord.
Je n'étais pas vraiment sûre de ce que je fesait, mais mon cerveau, lui, il le savais.
-Des branches? que je répète.
Sans attendre la réponse, je me diriga un peu plus loin, où je trouva ce qu'il me fallais: quelques branches bien secs.
Je les apporta à la guerrière.
Je refit le même manège quartre ou cinq fois avant de m'arrêter.
-Est-ce qu'il y en a assez?
Je regarda la guerrière, mes yeux disait ce que je pensait: je n'étais plus sur terre.
J'étais dans un autre monde, le monde des Rêves.
Même si je le suis présentement, j'attendais, les yeux vide, ou plutôt, pétillants de l'émotion de mes rêves que je vivait éveillée.

Je m'apprêtais à demander à la jeune guerrière de ramasser de petites roches pour mettre autour du feu, au cas où il se propagerait.
J'ouvris la bouche...
Puis, je remarqua l'état dans lequel se trouvait la jeune femme.
Elle était loin, très loin.
Dans un endroit connu d'elle seule.
Son corps était toujours là, mais cela ne voulait rien dire.
Les plus grands voyages, on les faisait intérieurement.
Elle rêvait, tout simplement.
Mais en fait, c'était beaucoup plus que ça.
C'était tellement plus simple et tellement plus compliqué en même temps.
C'était inexpliquable.
Je refermai donc la bouche et dis à la place:
-Je vais trouver le souper, pour qu'on puisse manger. Ne bouge pas et sois prudente.
Je n'attendis pas sa réponse et partis plutôt vers un endroit plus éloigné de celui où on se tenait déjà.
Quand j'y arrivai, je me rendis compte que j'avais eus raison.
Il y avait bel et bien un buisson empli de fraise, de framboise et de mûre de toute sorte.
Je m'agenouillais devant et commencais à en cueillir pour le souper.
"En tout cas, j'espère qu'elle aime les mûres" me dis-je en mon for intérieur.
Je souris.
Finalement, ça ne me dérangeais pas trop de passer la nuit ici.

Oui, je rêvait, éveillée.
Mais par contre, je ne savais pas où j'étais.
J'étais, dans un genre d'arc-en-ciel.
Mais par contre, cet arc-en-ciel étais..
En tout cas, je ne pouvais pas dire comment il étais, car il avait trop de couleur, trop de chose pour qu'on puisse le décrire.
C'étais..
Plus que magique, plus que fanstastique.
Je ferma les yeux, pour mieux rêver éveillée..

Je continuai à cueillir, pour être bien certaine d'en avoir assez.
Un oiseau du paradis vint à moi, et je levai mon doigt pour le laisser s'installer.
Je lui donnai une mûre, et il la prit.
Je le laissai s'envoler en le regardant voler de son vol si particulier.
Je sourit, puis je continuai à cueillir.
Je voulais être bien certaine d'en avoir assez.

Finalement, j'ouvrit les yeux, et je regarda la guerrière en train de cueillir des petits fruits.
-Euh.. Où suis-je? demandait-je, incertaine.
Je regardait autour de moi, incrédule.
Remarque, j'était, l'instant plus tôt, dans un arc-en-ciel multicolore, perdue dans mes pensées.
Mais alors..?

Amishka revint tranquillement vers le campement improvisé, sans répondre à l'interrogation qu'elle voyait dans les yeux de sa compagne. Cette incertitude, ces doutes, elle les connaissait. Le réveil sur terre était toujours brutal... Mais Neila comprendrait. On finissait toujours par comprendre que rien de ce qui venait de se produire n'était réel... Et on reprenait doucement contact avec la réalité. Parfois, c'était dur - les rêves sont parfois tellement mieux que la vraie vie... Mais toujours, on revenait.

Le soir tombant, elle ramassa quelques branches et entreprit d'y mettre le feu. La lumière illumina les alentours, repoussant comme elle le pouvait l'obscurité. Puisque la nuit amène toujours de la fraîcheur et que c'était l'hiver, elle se rapprocha du feu et laissa la chaleur lui réchauffer les mains et le visage. Comme ça, elle était bien, juste bien. Il lui faudrait bien sûr monter la garde pendant la nuit, car on ne pouvait se permettre qu'il y ait des morts, mais elle était prête à cela. Rester éveillée toute une nuit était dans ses capacités.

Elle bailla un peu, puis observa les étoiles. Combien de fois avait-elle posé ses mains sur un tronc d'arbre et était restée immobile, écoutant les échos du passé? Combien de fois ceux-ci lui avait raconté la grande épopée du Monde des Rêves? Les anciens guerriers étaient tous morts, un par un. Les envahisseurs revenaient, il fallait le protéger... Une lourde tâche les attendait, si elle ne voulait pas que l'équilibre naturel du monde soit entièrement bouleversé. Car on ne pouvait perdre un monde sans que tout ne s'en trouve débalancé...

Elles étaient prisonnières ici, donc. Sans échappatoire, ni rien. Elles n'avaient rien fait de mal, elles étaient juste... Là. Parce qu'elles étaient le seul espoir de ce monde.

Avec un petit soupir las, elle se dit, en regardant les étoiles, que leurs ancêtres avaient bien fait de mourir.